La lutte contre le travail forcé dans nos supply chain mondialisées a pris de l’ampleur grâce à la médiatisation de la situation dramatique des populations ouïghoures dans la province du Xinjiang en Chine et aux propositions de loi qui ont émergées un peu partout en réaction.

Aux États-Unis, le Uyghur Forced Labor Prevention Act (UFLPA) interdit depuis le 21 juin 2022 l'importation, sur le territoire états-unien, de marchandises fabriquées en tout ou en partie par le travail forcé et en provenance de la région autonome ouïghoure du Xinjiang.

Au niveau européen, un projet de loi très discuté sera débattu par les députés en septembre avec une mise en œuvre attendue pour début 2024. En Allemagne la loi sur la responsabilité des entreprises dans la supply chain (Gesetz über die unternehmerischen Sorgfaltspflichten in Lieferketten) est entrée en vigueur le 1er janvier 2023. Des lois similaires sont en vigueur ou en cours de préparation dans d’autres pays d’Europe.

Et en France : quelles sont les implications du travail forcé dans la gestion de nos supply chains dans le monde ? Et comment créer des chaînes d’approvisionnement plus éthiques et responsables ?

1. Travail forcé : renforcement de la règlementation française

La France fut une pionnière avec la loi 2017-399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneurs d’ordre : les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés sont tenues de rendre compte de leurs mécanismes d'identification et d’alerte sur les risques de travail forcé. Si elles ne parviennent pas à démontrer qu'elles ont établi et mis en œuvre un plan, elles s'exposent à une amende pouvant aller jusqu'à 10 millions d'euros, mais pouvant atteindre 30 millions d'euros si ce manquement a donné lieu à des dommages.

L’exploitation des ouïgours, minorité musulmane de la province du Xinjiang en Chine, a suscité une forte mobilisation dès le début 2021. Des élus écologistes et associations ont alerté puis déposé des plaintes contre des grands groupes textiles pour dénoncer les conditions de travail des usines et des complicités de travail forcé dans la région.

Dans ce contexte, le Sénat a adopté une résolution le 1er juin 2023 visant à interdire l’importation en Europe de produits issus du travail forcé de la population ouïghoure en Chine.

Cette résolution vise à favoriser la prise de conscience et la responsabilité des entreprises en cas d’introduction de ces produits sur les marchés français et européen. Elle s’ajoute au devoir de vigilance introduit par la directive européenne CSDD (Corporate Sustainability Due Diligence Directive) et sera suivie par les mesures d’interdiction prévue par la règlementation européenne en discussion actuellement.

Les entreprises, quelle que soit leur taille, doivent donc se mobiliser pour s’assurer que chaque maillon de leur supply chain est approvisionné de manière éthique et responsable. Un travail titanesque diront certains mais nécessaire pour le bien des entreprises et des personnes.

2. Identifier le travail forcé : tout un écosystème à auditer

Le travail forcé fait référence à des situations où les travailleurs sont contraints ou menacés, de quelque façon que ce soit, à travailler contre leur volonté, souvent dans des conditions inhumaines et abusives.

Cela peut arriver à n’importe quel moment dans la chaîne d’approvisionnement : du sourcing des matières premières à la fabrications des produits, en passant par la distribution. C’est une grave violation des droits de l’Homme et une forme d’esclavage moderne qui touche des millions de personnes dans le monde.

Et cela ne concerne pas uniquement une entreprise mais également ses fournisseurs et prestataires externes. C’est toute la chaine qu’il faut pouvoir auditer. Il faut être vigilant sur les conditions de travail et sur l’implantation de l’entreprise et de ses fournisseurs. Pour un fournisseur chinois par exemple, l’usine de production est-elle proche d’un camp de travail forcé ouïghours ?

Les supply chain mondiales étant infiniment complexes et constamment en mouvement, cela rend très difficile la mise en place d’une surveillance et d’une visibilité à long terme des risques pour les personnes. De plus, les agences gouvernementales ne publient pas de liste des entreprises soupçonnées d’avoir recours au travail forcé, ce qui complique encore la vérification des antécédents des fournisseurs potentiels.

3. Prendre des mesures pour contribuer DÈS MAINTENANT à résoudre cette crise mondiale

Malgré tout, il y a des actions et méthodes à mettre en place pour identifier et renforcer la lutte contre le recours au travail forcé pour les entreprises de la supply chain.

  • Identifier les risques : en étant alerte sur les critères qui favorisent le recours au travail forcé.
  • Diversifier les sources d’informations pour connaitre les conditions de travail sur sa chaine d’approvisionnement (s’entretenir avec les collaborateurs de ses fournisseurs, examiner dans le détail ses politiques et chartes internes, collaborer avec des ONG…).
  • Être toujours au fait des lois en vigueur sur l’esclavage et le travail forcé.
  • Filtrer et mettre en place des plans de conformité internes (PCI) : les mesures de contrôle requises pour surveiller la conformité des exportations et du commerce international y sont de plus en plus prises en compte.

Un contrôle approfondi est un élément essentiel de la lutte contre le travail forcé. Des cabinets d’analyse comme Kharon ont développé leurs propres méthodes de recherche et leur réseau d’experts à l’international pour identifier les entreprises à risque, notamment sur le travail forcé. Ces informations peuvent ensuite être implémentées dans une solution de « due diligence » pour analyser en continu tous les tiers des chaînes d’approvisionnement.

Aujourd’hui, sur la base d’une liste de 50 entités sanctionnées par un gouvernement, nous sommes en capacité d’identifier plus de 8 600 entreprises associées à ces 50 entités.

Pour résumer, toutes les entreprises dans le monde doivent pouvoir garantir que leur supply chain est exempte de travail forcé. Cela inclut l’identification des fournisseurs à risque, la promotion de supply chain plus équitables et l’implémentation de solutions pour s’assurer que tous les fournisseurs respectent ces normes de travail.

Pour aller plus loin, découvrez le mini guide Descartes sur le travail forcé et ses implications dans la supply chain

Par Thomas Lobert, Solutions Consultant Global Trade Intelligence chez Descartes